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Des données de santé très convoitées
Une affaire qui agite l’actu rappelle l’importance commerciale et stratégique cruciale qu’ont pris les données de santé dans notre société numérique, et pose de nombreuses questions.
A qui les données de santé appartiennent-elles ? Qui a le droit de les utiliser ? L’Etat doit-il laissé le priver s’en emparer en concurrence avec ses propres services ?
L’offensive de la CNAM
Alors que le célèbre service Doctolib, fort de 50 millions de patients, a récemment entrepris de recueillir les données de santé de ses abonnés dans un espace dédié, Thomas Fatôme, directeur général de la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie, qu’on appelle aussi Assurance Maladie tout court), s’en est ému dans la presse, rappelant que le législateur français a déjà créé le dispositif Mon Espace Santé pour mettre ces données à la disposition des médecins. Et que donc, Doctolib n’est pas censé faire directement concurrence au service public…
Mon Espace Santé permet en effet à tous les patients français ainsi qu’à leurs médecins et autres professionnels de santé, de mettre en ligne leurs documents (analyses de labo, diagnostics, ordonnances etc). L’opération vise évidemment à faciliter la prise en charge des patients par le partage de l’information médicale. Plus on a d’informations, plus les traitements sont adaptés.
Il y a donc un réel enjeu de santé publique à assurer cette mise à disposition de l’information médicale, au moment même où les diverses formes de médecine à distance continuent à se généraliser.
Si elle réduit les coûts et le temps perdu en annulant les transports, cette médecine à distance présente aussi l’inconvénient d’éloigner les médecins et les patients, et rend plus nécessaire la connaissance de ces patients via le partage de leur dossier médical.
La réaction des professionnels de santé et des assos de patients
Suite à l’avertissement du patron de la CNAM, une tribune rédigée au nom de syndicats de professionnels de santé et d’associations de patients a prolongé la polémique, en s’opposant frontalement à l’initiative du géant Doctolib.
Défenseurs du serment d’Hippocrate qui interdit aux médecins un exercice vénal de leur profession, les professionnels de santé craignent que Doctolib fasse un usage commercial des données qu’il stockerait dans sa propre version du dossier médical des patients.
Imaginons par exemple : Doctolib pourrait vouloir vendre les coordonnées de groupes de patients atteints de certaines maladies, pour leur vendre de nouveaux médicaments, par exemple.
Le plus surprenant est que cette tribune aurait en fait été conçue par la délégation du numérique en santé, c’est à dire précisément l’officine du ministère de la Santé qui avait donné son autorisation à Doctolib de lancer son projet de dossier médical en ligne.
La réplique de Doctolib
Au tour, alors, de Doctolib de répliquer par l’indignation : la même autorité qui l’autorise est aussi celle qui organise une protestation ?
Une chose est sûre : la bataille des données de santé n’est pas prêt de s’achever, et le cadre règlementaire devra encore évoluer, pour répondre aux puissants enjeux contradictoires que sont
- la nécessité de partager des données sensibles,
- la nécessité d’en protéger la confidentialité,
- le besoin de financer la recherche et développement de nouvelles thérapies et de nouveaux médicaments,
- et l’impératif de non-vénalité de la médecine.
Qui tranchera entre le mastodonte qu’est devenu Doctolib et un Etat français endetté et en crise politique profonde ?